http://www.lemonde.fr/sport/article/201 ... _3242.htmlLance Armstrong : "Le Tour de France ? Impossible de gagner sans dopage"LE MONDE SPORT ET FORME | 28.06.2013 à 04h00 • Mis à jour le 28.06.2013 à 16h41 | Propos recueillis par Stéphane Mandard

Lance Armstrong n'a pas encore "raconté toute l'histoire". Depuis ses aveux hypermédiatisés de janvier avec la "prêtresse" du talk-show américain, Oprah Winfrey, l'ancien septuple vainqueur du Tour de France se terre dans le silence. Tout juste lâche-t-il, de temps à autre, quelques tweets à ses près de quatre millions de suiveurs.
A la veille du départ de la 100e édition d'un Tour de France qui cherche à oublier celui qu'il avait fait roi, Lance Armstrong a accepté de répondre aux questions du Monde. Armstrong qui parle au Monde, cela ne va pas de soi. La dernière – et seule – fois que le "Boss" avait daigné nous accorder un entretien, c'était en 2003, avant un Tour du centenaire qui allait faire entrer le Texan au panthéon des quintuples vainqueurs. Depuis, Le Monde avait définitivement été rangé dans "le camp de la merde", coupable de ne pas croire à la trop belle histoire du miraculé du cancer qui triomphe à la seule force de son coup de pédale.
Alors, lorsqu'on lui a proposé, il y a trois mois, de "raconter son histoire" dans ces colonnes, il a, de son propre aveu, d'abord pensé à nous répondre "fuck off". Avant de concéder que c'était "une putain de bonne idée". Le projet : lui faire raconter son histoire, avec le Tour et le dopage, dans une chronique quotidienne pendant les trois semaines de course. Mais, entre-temps, Armstrong a dû vendre sa belle demeure à Austin pour payer les honoraires de ses avocats. Et lesdits avocats ont fini par convaincre leur client que cette opération vérité était trop dangereuse dans le contexte des poursuites lancées à son encontre par le département de la justice après le rapport accablant de l'Agence américaine antidopage (Usada).
A un mois du départ de la Grande Boucle, Armstrong nous fait savoir qu'il préfère renoncer au projet. Quelques dizaines d'échanges d'e-mails et de textos plus tard, l'Américain accepte finalement de se prêter au jeu des questions-réponses. En transit entre Austin, Hawaï et le Colorado, impossible de caler un rendez-vous. L'entretien se fera à distance. Lance Armstrong ne raconte pas – encore – toute l'histoire, mais son entretien constitue une étape importante dans le long chemin vers la vérité.
La 100e édition du Tour de France s'élance samedi 29 juin. Est-ce que vous la suivrez ?
J'essaierai de regarder la course à la télévision de temps en temps. Je vous mentirais si je vous disais que j'organiserai mes journées afin de pouvoir suivre les étapes, mais c'est assez simple dans la mesure où les retransmissions sont le matin ici, au Colorado, où nous passons l'été avec ma famille. Maintenant, si j'ai la possibilité de sortir de chez moi pour aller rouler, courir, faire une partie de golf ou jouer avec mes enfants, c'est ce que je privilégierai.
Vous continuez à faire du vélo malgré tous les ennuis que vous a apporté la pratique de ce sport ?
Absolument, je continue à faire du vélo et à m'entraîner. Faire du vélo a toujours été une thérapie pour moi. Et ce qui était vrai lorsque je m'entraînais pour le Tour l'est toujours aujourd'hui. Une bonne grosse sortie de trois ou quatre heures vous vide la tête comme rien d'autre.
Tous les vainqueurs encore vivants devraient être présents pour cet anniversaire. Auriez-vous souhaité en faire partie ?
Non. Même si j'avais été invité, j'aurais préféré rester chez moi. Avec ma famille.
Que représente pour vous, aujourd'hui, le Tour de France ?
Le Tour est un grand événement. C'est dur, c'est long, c'est intense. Je continue à aimer le Tour et tout ce que cela représente.
Vous considérez-vous toujours comme le recordman de victoires ?
Absolument.
Avez-vous gardé vos sept maillots jaunes ou les avez-vous brûlés ?
Ah, ah ! Hors de question. J'ai travaillé dur pour ces maillots et je les aime pour ce qu'ils sont et tous les souvenirs qu'ils représentent.
Comprenez-vous que l'Union cycliste internationale (UCI) et les organisateurs du Tour vous aient rayé du palmarès ?
Oui et non. C'est bien d'effacer mon nom, mais le Tour a bien eu lieu entre 1999 et 2005, n'est-ce pas ? Il doit donc y avoir un vainqueur. Qui est-il donc ? Je laisse le soin aux autres de débattre à l'infini qui était le vrai vainqueur de ces Tours. Mais personne ne s'est manifesté pour réclamer mes maillots.
A l'instar de Jan Ullrich, cette semaine, d'autres vainqueurs du Tour, comme Bjarne Riis, ont reconnu s'être dopés ou ont été impliqués dans des affaires de dopage (Marco Pantani, Alberto Contador), mais vous êtes le seul à avoir été effacé des tablettes. Comment l'expliquez-vous ?
C'est simple. Amaury Sport Organisation a suivi l'Union cycliste internationale qui a elle-même suivi l'Agence américaine antidopage.
Avez-vous été surpris par les aveux de l'Allemand Jan Ullrich, et vous attendez-vous à ce que d'autres anciens vainqueurs de la Grande Boucle l'imitent ?
Oui, j'ai été surpris que Jan se confesse précisément maintenant. Je l'apprécie vraiment, c'est quelqu'un dont je me soucie et contre lequel j'ai adoré me battre sur un vélo. En ce qui concerne les autres, je ne m'attends à rien car la procédure normale est de ne rien dire.
Dans son rapport, l'Usada vous accuse d'avoir bénéficié du "programme de dopage le plus perfectionné, le plus professionnel et le plus efficace de l'histoire du sport"...
Tout ça, ce ne sont que des conneries. On a vu que l'affaire Puerto était cent fois plus sophistiquée. Notre système était très simple, très conservateur, et pas maléfique comme je l'ai entendu dans la bouche de l'Agence mondiale antidopage, entre autres. Il y a plein de preuves de ce que je dis et l'histoire montrera que tout ça n'était qu'une simple posture de l'Usada pour faire du buzz. Par ailleurs, sur combien d'autres équipes l'Usada a-t-elle enquêté ? Si la réponse est aucune, alors comment peut-elle clamer que notre système était si sophistiqué ? C'est totalement irrationnel.
Le président de l'UCI, Pat McQuaid, ne vous a pas simplement retiré vos sept titres et suspendu à vie, il a aussi demandé à ce que vous n'ayez plus de place dans le cyclisme...
Je pense simplement que Pat McQuaid a essayé de faire une déclaration politique pour prétendre qu'il était sur une ligne dure contre le dopage. Mais, évidemment, il n'a aucun crédit en la matière. McQuaid peut dire et penser ce qu'il veut. Il a des problèmes beaucoup plus importants qui devraient l'inquiéter.
A quel type de problèmes faites-vous référence ?
Je ne connais pas exactement le système qui régit les élections à la tête de la fédération, mais McQuaid semble, pour le moins, être sur la sellette. Apparemment, la candidature de Brian Cookson représente une alternative rafraîchissante. Nous verrons bien. Au-delà des questions de personnes, je pense que le cyclisme a besoin d'un nouveau leadership pour essayer de regagner en crédibilité. Les choses ne pourront tout simplement pas changer si McQuaid reste au pouvoir. Et je le lui ai dit.
Vous êtes donc prêt à soutenir la candidature de l'Anglais Brian Cookson ?
Je ne connais pas suffisamment bien Cookson pour lui apporter mon soutien.
Pat McQuaid vous a invité à venir tout lui raconter. Pourquoi ne le faites-vous pas ?
Ce n'est pas vrai. McQuaid fait tout pour éviter le sujet de la commission "vérité et réconciliation".
Lors de votre interview télévisée de janvier, vous aviez laissé entendre que vous seriez le premier à collaborer à une commission de type "vérité et réconciliation". L'Usada et l'Agence mondiale antidopage avaient proposé à l'UCI la mise en place d'une telle commission. Mais la fédération s'y oppose. Pourquoi, selon-vous ?
L'UCI refuse la mise en place d'une commission "vérité et réconciliation" parce que le témoignage que le monde voudrait entendre ferait plonger McQuaid, Verbruggen et toute l'institution.
Pourquoi êtes-vous prêt à parler devant une commission "vérité et réconciliation" et que voulez-vous dire ?
Toute l'histoire n'a pas encore été racontée. La "décision motivée" de l'Usada n'a pas dressé le portrait fidèle du cyclisme de la fin des années 1980 à nos jours. Elle a parfaitement réussi à détruire la vie d'un homme, mais n'a pas du tout bénéficié au cyclisme. Qu'est-ce que je dirais devant la commission ? Je comparaîtrais, je m'assoirais, j'écouterais et je répondrais honnêtement aux questions.
Une des questions pourrait être : quand vous courriez, était-il possible de faire des performances sans se doper ?
Cela dépend des courses que tu voulais gagner. Le Tour de France ? Non. Impossible de gagner sans dopage. Car le Tour est une épreuve d'endurance où l'oxygène est déterminant. Pour ne prendre qu'un exemple, l'EPO ne va pas aider un sprinteur à remporter un 100 m, mais elle sera déterminante pour un coureur de 10 000 m. C'est évident.
Comment tombe-t-on dans le dopage ?
La nature humaine...
Pouvez-vous témoigner de votre propre expérience ?
Non.
Comment en finir avec la culture du dopage dans le vélo ?
A bien des égards, ça ne finira jamais. Je n'ai pas inventé le dopage. Désolé Travis ! Et il ne s'est pas non plus arrêté avec moi. J'ai simplement participé à ce système. Je suis un être humain. Le dopage existe depuis l'Antiquité et existera sans doute toujours. Je sais que ce n'est pas une réponse très populaire, mais c'est malheureusement la réalité.
Devant la commission d'enquête sénatoriale sur le dopage, votre ancien rival, Laurent Jalabert, dont on a retrouvé de l'EPO dans les urines prélevées lors du Tour 1998, a déclaré : "Armstrong était un tortionnaire." Il a aussi juré qu'il ne s'était jamais volontairement dopé, et que son médecin, à la ONCE, était surnommé le "Docteur Citroën", par opposition à votre médecin, Michele Ferrari...
Ah, "Jaja", avec tout le respect que je lui dois, il est en train de mentir. Il aurait mieux fait d'éviter de parler de Ferrari et de Citroën, car il sait très bien que Michele était le médecin de la ONCE au milieu des années 1990.
Comprenez-vous la déception, et la colère pour certains, de ceux qui ont cru en votre histoire ?
Je comprends parfaitement, et j'en suis profondément désolé. A bien des égards, je ne parviendrai jamais à réparer ça, mais je passerai ma vie à essayer.
Comprenez-vous également que votre ancien sponsor, l'US Postal, se soit joint à la plainte de Floyd Landis et du département de la justice pour vous réclamer aujourd'hui près de 100 millions de dollars ?
Pas de commentaire.
Avez-vous peur d'aller en prison ?
Non.
Avez-vous peur de finir ruiné ?
Non.
Avez-vous eu peur pour votre santé durant votre carrière ?
Seulement dans le sens où le cyclisme est un sport dangereux, avec des chutes, des collisions...
Et à cause du dopage ?
Jamais.
Avez-vous eu peur de vous faire contrôler positif et de voir votre carrière s'arrêter ?
Peur des contrôles antidopage ? Non, jamais. Notre système était assez basique et sans risques. J'avais beaucoup plus peur de la douane et de la police.
Devant la commission d'enquête sénatoriale, Pat McQuaid a déclaré sous serment que l'UCI ne vous avait jamais protégé. Pourtant, en 1999, lors de votre premier Tour de France victorieux, "Le Monde" avait révélé un contrôle positif aux corticoïdes, et l'UCI avait accepté un certificat antidaté pour vous blanchir. C'est exact ?
Je n'ai pas vu ce qu'a déclaré Pat McQuaid sous serment, mais c'est exact que l'UCI avait accepté un certificat antidaté en 1999.
Vous avez versé 100 000 dollars à l'UCI en 2002. Ça vous paraît normal qu'une fédération internationale accepte de l'argent d'un de ses champions ?
Ce n'est pas exact. J'ai fait ce don après ma retraite en 2005. C'est facile à dire maintenant que c'était une attitude intolérable. C'était il y a huit ans. Les temps ont changé. Aujourd'hui, ce serait considéré comme inacceptable, je suppose. Nous avons perdu tout le contexte de l'époque. Je continue à me demander pourquoi nous discutons et débattons de ce qui s'est passé il y a tant d'années. Ça me paraît absurde à bien des égards.
L'UCI, ASO, l'US Postal... Tous ceux qui vous ont lâché ont tiré profit pendant des années de l'effet Armstrong ?
Bien sûr. C'est une réaction classique de la mentalité de troupeau. C'est populaire de parler, de penser, d'agir dans ce sens aujourd'hui. Pour le reste, je ne peux pas faire de commentaires sur ceux qui ont tiré des bénéfices économiques de mon succès. Je suis certain que ces chiffres sont facilement accessibles en ligne.
Aujourd'hui, éprouvez-vous des remords ?
J'ai été trop dur avec les gens. Pas dans le sens où mon vieil ami "Jaja" me décrit (un "tortionnaire") mais dans la mesure où je me suis trop comporté comme un "battant". Se battre sur son vélo, c'est parfait. Se battre en dehors, ça ne l'est pas. Je n'ai pas pu, je n'ai pas su séparer les deux.
En 1999, vous aviez conseillé au Français Christophe Bassons, qui dénonçait le dopage, de dégager du Tour. Si vous le croisiez, aujourd'hui, que lui diriez-vous ?
Ce n'est pas ce que je lui ai dit à l'époque. J'ai dit : "Eh mec, si tu es si malheureux alors pourquoi tu continues ?" Malheureusement, mes propos ont été déformés dans la traduction. J'aurais mieux fait de la fermer et de ne rien dire.
Que vous inspire le dénouement de l'affaire Puerto, où la juge a ordonné la destruction des poches de sang qui auraient pu permettre d'identifier les autres clients non cyclistes du docteur Fuentes ?
Je suis sûr que certains grands clubs de football ont eu de l'influence sur ce jugement. En tout cas, c'est encore le cyclisme qui a été tenu pour le seul responsable.
Vous avez le sentiment que le cyclisme est le bouc émissaire du sport professionnel ?
Absolument.
Et vous avez le sentiment de payer pour tout le monde ?
Je laisserai les autres décider.
Mais quel est votre sentiment personnel ?
Mes sentiments personnels sont mes sentiments personnels. Pas les vôtres, pas ceux des lecteurs, ni de personne. Je laisserai le temps dicter ce récit.
Nicolas Sarkozy était l'un de vos grands supporteurs. Vous a-t-il adressé un message après la perte de vos titres ?
Pas à ma connaissance.
Et lui avez-vous adressé un message après sa défaite à l'élection présidentielle ?
Non. Mais j'apprécie vraiment "Sarko" en tant qu'homme. Quand je dis cela, ça n'a rien d'une déclaration politique, c'est seulement une opinion personnelle. Il a toujours été cool avec moi.
Sarkozy a très envie de revenir en 2017 pour la présidentielle. Pourquoi avez-vous fait un come-back en 2009 ?
C'est une bonne question. Cette décision a été la plus grosse erreur de ma vie. Je ferais n'importe quoi pour l'effacer, mais ce qui est fait est fait. J'aurais dû écouter Jean-Marie Leblanc lorsqu'il m'écrivit une lettre ouverte à l'automne 2008 pour me conseiller de ne pas revenir. Il avait raison.
Quand vous étiez au sommet de votre gloire, que "Sport Ilustrated" vous consacrait sportif de l'année, vous vous rêviez en gouverneur du Texas de votre ami George Bush après le vélo. A quoi rêvez-vous aujourd'hui ?
Pour être honnête, ce n'était que des spéculations. Et je n'ai pas vraiment cherché à les démentir avec un ferme non. J'ai toujours dit : "Il ne faut jamais dire jamais." Tout ce qui compte pour moi, aujourd'hui, c'est mes amis et ma famille. J'ai cinq enfants et c'est assez à gouverner !
J. J. Abrams, le créateur de la série "Lost", a annoncé qu'il préparait un film sur vous. Cela vous inquiète ou vous épate ?
Ni l'un ni l'autre. Et jusqu'à maintenant, il ne m'a pas contacté.
A quoi ressemble aujourd'hui la vie de Lance Armstrong ?
Ma journée ? Je me lève, je bois mon café, je lis le journal (le New York Times), je prends mon petit déjeuner, je pars rouler, courir, m'entraîner. Je reviens, je déjeune avec mes enfants, puis je passe le reste de la journée en réunion, à jouer au golf ou au parc avec mes enfants. Et vers 17 heures, je m'ouvre une bière bien fraîche et je réfléchis.
Propos recueillis par Stéphane Mandard