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http://www.tdg.ch/geneve/actu/geneve-no ... en%E8ve%29Mis à genoux par la crise, certains de nos voisins européens viennent tenter leur chance ici. Mais faute de décrocher un contrat de travail, ils se retrouvent sans statut légal.
Là-bas, Aria de Bach est sa musique phare. Ici, son guide n’est pas musical, mais religieux. C’est le prêtre de son quartier, les Avanchets, qui l’aide au quotidien. L’été dernier, Vania a abandonné sa flûte traversière et sa guitare pour venir à Genève, avec son fils de 4 ans sous le bras. Au Portugal, bien que propriétaire de son logement, Vania ne s’en sortait plus: de ses 650 euros mensuels (à peine 950 francs) de secrétaire dans une étude d’avocats, il ne lui restait plus que 145 francs une fois le crédit (440 francs) et la garderie (360 francs) payés. Du coup, elle a pris son courage à deux mains, son fiston – «Qui a parlé français en un rien de temps» – et deux valises.
Mais ici, ça ne s’est pas passé comme escompté. Cette musicienne – elle a fait le Conservatoire national de Lisbonne – n’a pourtant pas rechigné à la tâche. «Au bout de deux à trois mois, avec deux contrats de 15 jours chacun comme femme de chambre, je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à joindre les deux bouts, notamment pour payer la nounou.» Après s’être serré la ceinture, Vania serre les dents et renvoie son fils Pedro chez ses grands-parents. «C’est mieux pour lui, en attendant.» Aujourd’hui, cela fait trois mois qu’elle n’a plus vu son fils. «Mais il vaut mieux tirer le diable par la queue ici plutôt que d’être sous le seuil de pauvreté là-bas», estime-t-elle.
Trois mois sans autorisation
Ressortissante de l’Union européenne (UE), Vania a le droit de rester ici trois mois, sans autorisation particulière. Mais passé ce délai, il lui faut justifier de moyens financiers suffisants pour obtenir un permis de séjour. Ce qui, en l’occurrence, n’a pas été le cas, faute d’avoir décroché un contrat de travail digne de ce nom.
A l’image de Vania, une nouvelle catégorie de personnes sans statut légal émerge. C’est le constat des milieux associatifs. Au Centre de contact Suisses-immigrés (CCSI), Laetitia Carreras, responsable de la permanence petite enfance, santé et genre, raconte: «Sur le terrain, nous sommes frappés de voir que des ressortissants de l’UE ou de l’AELE (ndlr: Association européenne de libre-échange), dont l’autorisation de séjour dépend d’un travail, mais qui, dans le contexte actuel, n’en trouvent pas, deviennent sans statut légal. Avec la dégradation du marché du travail en Suisse et à Genève, ces personnes vivent dans une très grande précarité.»
La faute à la crise
Pourquoi ces arrivées maintenant? En partie à cause de la crise. A cet égard, un chiffre est édifiant: le pays d’origine de Vania, le Portugal, bat tous les records en matière d’inégalités de revenus selon Eurostat, qui le classe en tête des cancres des Vingt-Sept. Mais hormis la crise, ce sont les béquilles sociales des pays d’origine qui sont mises en cause: «Ce constat interroge les politiques sociales de certains pays européens – notamment la durée et le montant des indemnités de chômage et/ou de l’aide sociale. Ainsi des Européens sont poussés à devenir sans statut légal ailleurs en Europe, car ils ne parviennent pas à survivre dans leur propre pays», analyse Laetitia Carreras.
L’humiliation
C’est le cas de l’Espagne, mise à genoux par la crise. Et de Sara, 20 ans, originaire de Valence, résidant à Genève depuis dix mois. Sans travail, et donc sans papiers. A l’origine de sa situation, la crise économique et financière dont son compagnon et père de sa fillette a fait les frais. Soudeur, il a été licencié par son entreprise, qui a mis la clé sous la porte. «Comme David parlait français, il a eu l’idée de venir ici.» David a trouvé du travail dans la restauration. Mais Sara tourne en rond dans la chambre qu’ils louent 800 francs par mois et vit dans l’angoisse. Elle raconte une de ses mésaventures genevoises: «Je n’ai pas eu le temps de prendre mon billet avant de monter dans le tram. Je pensais qu’on pouvait l’acheter à l’intérieur, comme en Espagne. J’ai eu une amende sauf que, sans permis de séjour ni argent sur moi, le contrôleur m’a accompagnée jusqu’au travail de David pour qu’il lui règle le montant de l’amende sur place. J’ai eu tellement honte!»
Permis humanitaire
Combien y a-t-il d’autres Vania et Sara? «Cela est extrêmement difficile à savoir, confie Michael Glauser, porte-parole à l’Office fédéral des migrations (ODM). Notre dernier rapport sur les personnes sans statut légal remonte à 2005.» Et de rappeler: «Dans des cas de ressortissants UE/AELE qui n’auraient pas de moyens de subsistance suffisants, l’ODM peut délivrer des permis de séjour humanitaires. Mais le cas ne s’est pas présenté.»
A l’Université de Genève, le spécialiste du sujet, Sandro Cattacin, directeur du département de sociologie, commente: «Ces personnes ne sont pas des sans-papiers au sens classique du terme. Car contrairement aux sans-papiers, notamment originaires d’Amérique latine, la situation de ces Européens est appelée à être temporaire. Il y a des éléments de retour en arrière. Car avant les accords de libre circulation, nos sans-papiers qui travaillaient au noir étaient Italiens, Espagnols ou Portugais. Etonnamment, on voulait une Europe de la mobilité des hautes qualifications, mais on assiste aussi à l’afflux de main-d’œuvre peu qualifiée. Cette nouvelle ambivalence est le prix du système.»